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Suivi des chauves-souris tout au long de la nuit : Implications pour les mesures de conservation

Sciences participatives

Les données de l’observatoire Vigie-chiro ont encore parlé ! Elles ont donné lieu à une nouvelle publication dans la revue Biological Conservation. Les autrices et auteurs ont analysé les rythmes d’activité nocturne des chauves-souris afin d’aider à la conception de mesures de conservation. 

 

Vigie-Chiro est un observatoire participatif reposant sur l’enregistrement des ultrasons émis par les chauves-souris. Grâce aux données récoltées par de nombreux participants, les autrices et auteurs de l’article, Léa Mariton, Isabelle Le Viol, Yves Bas et Christian Kerbiriou, ont pu utiliser 9 807 enregistrements réalisés entre 2014 et 2020 sur 4 409 sites. Ils ont conçu une méthode qui permet de dévoiler le rythme de l’activité de chasse tout au long de la nuit pour 20 espèces de chauves-souris.
 
Différents styles de chasse…
La majorité des espèces se met en quête de nourriture à deux moments en particulier (on parle de « schéma bimodal ») : pour 12 des 20 espèces étudiées, deux pics d’activités ont été mis en évidence, l’un pendant la première partie de la nuit et l’autre pendant la seconde. La Barbastelle commune, la Sérotine commune, la Pipistrelle de Nathusius, l'Oreillard gris, le Murin de Daubenton et des Murins de grande taille ont un seul pic d'activité (« schéma unimodal ») : la chasse a lieu préférentiellement en première partie de nuit. Mais il existe aussi des espèces pour lesquelles aucun pic d'activité n’a été détecté, c’est le cas du Murin à moustaches et de l’Oreillard roux.  
Les espèces peuvent être regroupées en trois groupes selon la répartition de leur activité tout au long de la nuit :
- Les espèces « crépusculaires » : leur activité de chasse comporte deux pics marqués, elle commence peu après le coucher du soleil et termine peu avant le lever du soleil : Pipistrelle commune, Pipistrelle pygmée et Noctule commune constituent ce groupe.
- Les espèces « tardives » : leur activité est globalement répartie tout au long de la nuit (sans pic d'activité ou présentant un faible schéma d'activité unimodal ou bimodal), elle commence plus tard et se termine plus tôt que les autres espèces. C’est au cœur de la nuit que chassent ces 10 espèces : Les Murins de grande taille, Oreillard roux, Murin à oreilles échancrées, Murin de Natterer, Oreillard gris, Petit rhinolophe, Murin à moustaches, Molosse de Cestoni, Barbastelle commune, Minioptère de Schreibers.
- Les espèces « intermédiaires » : bien qu’assez précoce dans la nuit, leur activité – comportant un ou deux pics – présente des horaires de début et de fin s’inscrivant entre ceux des groupes cités précédemment : Pipistrelle de Kuhl, Vespère de Savi, Sérotine commune, Murin de Daubenton, Pipistrelle de Nathusius, Noctule de Leisler, Grand rhinolophe.
 

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Exemples de distribution de l’activité de 3 espèces de chauves-souris au cours de la nuit : Pipistrellus commune (crépusculaire, schéma d'activité bimodal marqué), Sérotine commune (intermédiaire, schéma d'activité unimodal marqué), Murin de Naterrer (tardive, schéma d'activité bimodal très peu marqué)

…pour se nourrir, survivre et se reproduire
Ces différences peuvent s'expliquer par un compromis entre les besoins énergétiques et les risques de prédation. Presque toutes les espèces « crépusculaires » et « intermédiaires » se nourrissent principalement de Diptères. Leur pic d’activité au crépuscule, suivi ou non d’un second pic à l’aube, correspondrait aux pics d'abondance de ces petits insectes. La grande majorité des espèces de ces deux groupes sont généralement considérées comme ayant un vol rapide et agile, donc moins vulnérables que les espèces « tardives » aux risques de prédation lorsqu'elles sont exposées à la lumière. La plupart des espèces de ce dernier groupe ont en effet un vol bas et lent et leur régime alimentaire est composé d'un grand nombre de Lépidoptères (dont l'abondance reste assez élevée tout au long de la nuit) et/ou de proies non volantes. Ainsi, elles peuvent rester actives toute la nuit et limiter les risques de prédation en ne sortant de leur gîte que lorsque les niveaux de lumière sont les plus faibles.
Si les rythmes d’activité nocturnes sont similaires tout au long de l'année, l'amplitude des pics varie. Au début de l’été, alors que les nuits sont plus courtes, les chauves-souris sont proportionnellement plus actives en fin de nuit. Ce moment de l’année correspond à la période de lactation de la plupart des espèces : les besoins énergétiques sont alors plus élevés pour les femelles reproductrices qui doivent retourner au gîte pour allaiter leurs petits. Il est probable qu’il leur soit ainsi nécessaire de chasser plus longtemps et/ou plus efficacement (certains insectes sont abondants à l'aube) pour atteindre leurs besoins énergétiques tout en allaitant leurs petits.
 
Tenir compte des temps clés pour les chauves-souris !
Production, consommation d'énergie et chauves-souris : c'est une équation à plusieurs dimensions qui se décline pour l'électricité et l'éolien. Rappelons que toutes les chauves-souris présentes en France (34 ou 36 espèces selon les experts) sont protégées par des conventions et des lois. La plupart des mesures de protection pour préserver leurs gîtes et terrains de chasse sont pensées dans l’espace et non dans le temps. Et si, face aux enjeux énergétiques, les pays européens adoptent de plus en plus l’extinction partielle (extinction des éclairages en cœur de nuit), cette mesure n’apporte pas toujours une réponse adaptée pour diminuer l’impact de la pollution lumineuse sur les chauves-souris. Par exemple l’étude d’Azam et al. (2015) menée dans un Parc naturel régional français, a montré que l’extinction partielle n’avait pas d'effet significatif sur cinq des huit espèces de chauves-souris étudiées. L’hypothèse avancée est que les horaires d’extinction ne couvraient pas les périodes clés d'activité de ces espèces. Concilier les besoins des humains en lumière et les besoins des chauves-souris en obscurité devrait ainsi reposer sur des actions inscrites dans l'espace et le temps. Par exemple, les lampadaires pourraient être éteints plus tôt à proximité des sites importants pour les chauves-souris (gîtes et corridors écologiques). Sur des sites où l'éclairage est essentiel, il s’agirait a minima de mettre en place des mesures d'atténuation - choisir un spectre lumineux peu impactant, réduire l'intensité lumineuse et mieux diriger les flux de lumière ou encore installer des détecteurs de mouvement - pendant les périodes clés d'activité des chauves-souris. Enfin, si l’analyse des données de Vigie-Chiro permet de définir des horaires d’extinction visant à réduire l’exposition de certaines espèces de chauves-souris à la lumière artificielle, il n’en demeure pas moins que l’activité précoce de nombre d’entre elles souligne l’importance d’éviter tout éclairage lorsque cela est possible.
Alors que le développement de la filière éolienne est en plein essor, on mesure l’importance du travail de ces chercheuses et chercheurs pour préserver ces espèces protégées. Intégrer les temps clés d’activité dans les algorithmes de bridage des éoliennes réduirait l’exposition des chauves-souris aux risques de collision et de perte de qualité d’habitat, tout en minimisant la perte de production d’énergie. A ce jour, l'algorithme de Behr et al. (2017), utilisé en Allemagne, est l'un des seuls algorithmes qui considèrent les rythmes d’activité nocturnes des chauves-souris. La prise en compte de la période de l'année en plus de l'heure de la nuit pourrait augmenter les performances de tels algorithmes. Par exemple, dans le jeu de données de Behr et al. (2017), les espèces les plus représentées sont la Noctule commune et la Pipistrelle. D'après les résultats obtenus avec les données de Vigie-Chiro, les moments des pics d'activité de ces espèces restent assez similaires tout au long de l'année mais leur amplitude change : l'activité est plus importante à l'aube en été lors de l'allaitement de petits. Ces résultats soulèvent ainsi la nécessité d'adapter les algorithmes de bridage pour diminuer le risque de collision à cette période de l'année. 

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Murin à moustache
crédits photo : XX Vulzok Xx, CC BY-SA 4.0 <https://creativecommons.org/licenses/by-sa/4.0>, via Wikimedia Commons

HD.

lien vers la publication
Characterising diel activity patterns to design conservation measures: Case study of European bat species,
auteurs : Léa Mariton, Isabelle Le Viol, Yves Bas, Christian Kerbiriou
revue : Conservation Biology
https://doi.org/10.1016/j.biocon.2022.109852

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